L’Infra Rouge Thermique aéroportée (IRTa) comme outils d’aide à la gestion
Appel À Projets FEDER AE Loire Bretagne :
Recherche, expérimentation, acquisition et valorisation des connaissances sur les populations de poissons migrateurs amphihalins sur le bassin de la Loire.
- 2024-2025
- Financement : Agence de l’Eau Loire-Bretagne et le fond FEDER en Région Centre Val de Loire
- Montant total : 102.907,33€ dont FEDER : 41.162,80€
- Partenaires : B. Marteau (Université de Rennes) / S. Dugdale (University of Nottingham) / E.Prévost (INRAe) / Association LOGRAMI
L’appel à projets porté par l’agence de l’eau Loire-Bretagne et le FEDER au travers du PLAN LOIRE grandeur nature « recherche, expérimentation, acquisition et valorisation des connaissances sur les populations de poissons migrateurs amphihalins sur le bassin Loire » s’inscrit dans une continuité et un écosystème d’actions et de préconisations autour des poissons migrateurs amphihalins dans le bassin versant de la Loire.
Contexte et objectifs
L’IPCC a estimé qu’il y avait au moins 50% de chances que le réchauffement de la température de l’air soit d’au moins ou excède 1,5 ∘C dans les décennies à venir, et ce même en cas d’une réduction majeure des émissions de gaz à effet de serre (Intergovernmental Panel On Climate Change (Ipcc) 2023). À l’échelle de la France, cette augmentation de la température de l’air s’accompagne d’une diminution des débits estivaux. Le rapport « Explore 70 » a ainsi estimé des débits estivaux réduits de 10 à 40 % pour les cours d’eau de la moitié nord du territoire métropolitain et de 30 à 50 % dans la moitié sud avec des extrêmes à 70 %. Or, cette diminution des débits estivaux est associée à une augmentation de la température de l’air de +1.4∘C à +3∘C, l’interaction entre les deux amenant à une diminution d’habitats et une augmentation de la température dans ceux-ci (+0.5 à 1∘C sur le siècle écoulé en Europe, IPCC 2023).
La température de l’eau peut cependant être très variable spatialement et cela même à très fine échelle (Dugdale et al. 2015, Gallagher and Fraser 2023). L’hydromorphologie des systèmes fluviaux influence directement la thermie de l’eau et la présence de refuges thermiques (Dugdale et al. 2015). En effet la présence de ripisylve (Seyedhashemi et al. 2022) ou d’apports d’eau souterraine (Gallagher and Fraser 2023) permettent une diminution de l’augmentation de la température de l’eau avec jusqu’à 0,16°C.décade-1 pour la ripisylve et permettent d’avoir des « taches froides » dans les rivières. À l’inverse, la présence de seuils ou barrages peut entrainer localement une augmentation de la température et l’apparition de points chauds ou anomalies thermiques (Seyedhashemi et al. 2021). La dimension spatiale des refuges thermiques, très variable et ce à fine échelle, est à mettre en perspective de la dimension temporelle. En effet, une étude récente a montré que la distribution spatiale de ces refuges était stable dans le temps et que seul, l’écart de température entre ces refuges et le reste du cours d’eau variait. Cela montre l’importance d’identifier des zones des refuges thermiques, les gérer et les maintenir puisque leur présence est stable dans le temps (Dugdale et al. 2013).
Pour le cas des migrateurs amphihalins, l’augmentation des températures peut être un facteur de stress important malgré leurs capacités d’adaptations à différents milieux. Ces espèces utilisent une part importante de leurs ressources énergétiques lors de leur migration, notamment puisque ces migrations sont souvent associées à des périodes de jeûne. Une sur-consommation d’énergie, notamment due à de hautes températures, vient donc en opposition à la demande déjà nécessaire pour leur migration. Les espèces piscicoles expriment en général des comportements de thermorégulation en cherchant à éviter les stresses thermiques notamment en cherchant des refuges thermiques. L’utilisation de refuges thermiques varie selon les espèces et les stades de vie de celles-ci (Morgan and O’Sullivan 2023). Plusieurs études récentes ont utilisé l’IRT sur des rivières à salmonidés pour mieux comprendre le lien entre distribution des individus et utilisation des refuges (Dugdale et al. 2013, Fakhari et al. 2022, Morgan and O’Sullivan 2023, O’Sullivan et al. 2022, Wilbur et al. 2020). Par exemple, les juvéniles de saumons vont occuper des refuges thermiques plus chauds que les adultes (Morgan and O’Sullivan 2023, O’Sullivan et al. 2022, Wilbur et al. 2020). En période de basses eaux, des saumons adultes d’une population canadienne ont réussi à maintenir des températures corporelles peu variables (16-20∘C) en utilisant des pools qui étaient larges, stables, et stratifiés et ainsi permettre l’utilisation de ces refuges par plusieurs individus en même temps (Frechette et al. 2018). Les auteurs ont également montré qu’il était indispensable de maintenir une connectivité entre les refuges thermiques, sans quoi cela pouvait négativement impacter la migration des saumons (Frechette et al. 2018). La présence de refuges thermiques, leur diversité, et leur accessibilité sont donc nécessaires et doivent donc être ciblées par les programmes de gestion or il y a souvent un décalage d’échelles spatiales entre les refuges à fine échelle et les programmes de gestions à large échelle.
La population de saumon de l’Allier revêt notamment une importance patrimoniale et un enjeu de biodiversité important. Au-delà des aspects sociaux liés aux différentes populations de saumons en France exploitation professionnelle et de loisir, tourismes, aspect patrimonial, …cette population est une source de diversité par rapport aux autres populations françaises de saumons. D’un point de vue génétique, cette population est très différentiée des autres populations Françaises et constitue, à elle seule, un cluster génétique (Perrier et al. 2013). Au-delà de cette singularité génétique, cette population reste très fragile car une partie non négligeable des adultes sont issus du repeuplement en juvéniles réalisé par le Conservatoire National du Saumon Sauvage (CNSS, environ 85% des adultes à Vichy, Legrand and Prévost 2017) et il y une probabilité d’environ 0,5 que la population tombe sous les 500 individus adultes d’ici à 2035 s’il y a un arrêt du repeuplement (Legrand and Prévost 2017). Une des difficultés pour cette population correspond au fait que ses individus effectuent la plus longue migration continentale pour atteindre les zones de frai sur l’Allier, ce qui induit une demande énergétique élevée du fait des kilomètres parcourus et de la durée de la migration et donc de jeûne. Associé à la longueur de la migration, les saumons de l’Allier entament leur migration quasiment une année avant la reproduction et sont pour partie obligés d’arrêter leur migration en période estivale. Cette particularité comportementale en fait également un élément de valeur de biodiversité pour le saumon Atlantique en France. L’arrêt de la migration en période estivale coïncide avec la période de basses eaux. En effet, la population de saumon de l’Allier doit accéder à la partie du bassin versant de la Loire dans laquelle les précipitations sont en moyennes les plus faibles du bassin et sous la moyenne nationale (Moatar et al. 2022) ce qui implique des débits bas en période estivale.
Ainsi, les températures d’eau moyennes observées augmentent très fortement en période estivale sur l’Allier et notamment sur l’Allier des plaines et l’Allier moyen (Figure 1, Logrami 2021). L’augmentation médiane de la température de l’eau sur le bassin de la Loire est déjà de +0,38°C.décade-1 au printemps et +0,44∘C.décade-1 en été. Mais l’augmentation de la température de l’eau peut déjà atteindre +1∘C.décade-1 dans le sud du bassin de la Loire.
Objectifs et axes de travail du projet
Avec l’accentuation des effets du réchauffement climatique sur les écosystèmes aquatiques, à savoir l’allongement des périodes d’étiage et l’augmentation des températures d’eau, il devient nécessaire dans les suivis piscicoles d’intégrer des connaissances précises sur la température de l’eau notamment au travers de la distribution et disponibilité de refuges thermiques puisque ces nouvelles contraintes thermiques modifient et vont continuer à modifier la répartition des espèces, les abondances des populations, et le comportement des individus. Or, alors que la question de l’effet de la réduction des débits en période estivale est de plus en plus pris en compte par les décideurs et gestionnaires notamment via son inclusion dans les études HMUC (Habitat Milieux Usage Climat) ou l’établissement des Débits Minimum Biologiques (DMB) et des Débits d’Objectifs d’Étiages, la prise en compte de la température de l’eau n’est que trop rare. Cela est d’autant plus marqué en ce qui concerne la variation spatiale à fine échelle de la température, puisque son effet est en général observé au niveau du cours d’eau. Le développement de la cartographie thermique des rivières par imagerie infra-rouge aéroportée permet aujourd’hui de connaitre précisément la distribution spatiale des habitats thermiques (Dugdale 2016, Dugdale et al. 2013; 2015, Fakhari et al. 2022, Marteau et al. 2021) et de les mettre en relation avec les exigences écologiques des espèces piscicoles (Frechette et al. 2018, Morgan and O’Sullivan 2023, O’Sullivan et al. 2022, Wilbur et al. 2020). Une récente synthèse bibliographique scientifique a ainsi clairement explicité le fort potentiel de la technologie IRT dans la définition de politiques de gestions et de management des écosystèmes aquatiques en vue de la préservation des espèces piscicoles (Mejia et al. 2023). Au-delà de l’identification et de la détermination de la distribution des refuges thermiques, l’objectif est in fine de pouvoir traduire les résultats issus de l’IRT dans le processus de définition des DMB.
Pour la population de saumon Atlantique de l’Allier, la distribution spatiale, disponibilité et accessibilité de refuges thermiques est un enjeu pour leur survie en période estivale durant leur arrêt de migration, d’autant que cette population peut rencontrer des températures d’eau bien plus élevée que d’autres populations de l’aire de répartition de l’espèce Frechette et al. (2018). Ce projet vise donc à déterminer si les saumons de l’Allier ont accès à des refuges thermiques lors de leur arrêt de migration en période estivale, et notamment dans le secteur du Bas Allier où les températures d’eau sont les plus extrêmes en période estivale et où une mortalité totale des saumons en arrêt de migration a déjà pu être observée (Logrami 2021). En effet, bien que certains suivis de températures sont réalisés avec plusieurs sondes de températures distribuées sur l’Allier, et que certaines études ont estimé des températures moyennes par zone de plusieurs centaines de mètres (Seyedhashemi et al. 2023 ; 2022), il résulte que l’échelle spatiale des données de températures de l’eau disponibles est peu propice à l’identification de refuges thermiques de quelques mètres ou dizaines de mètres (Frechette et al. 2018, Morgan and O’Sullivan 2023).
Ainsi, une cartographie thermique des habitats à fine échelle (voir exemple Figure 2) sur le Bas Allier notamment, serait complémentaire des données déjà acquises, que ce soit par Logrami ou les données scientifiques disponibles. Au-delà de la cartographie des refuges thermiques, le lien avec le saumon Atlantique est primordial du fait de la forte valeur de biodiversité de cette population et des enjeux de survie estivale autour d’elle.
Ainsi, la mise en relation de la cartographie thermique aux données de Logrami déjà acquises sur le monitoring de la migration du saumon et présentées ci-dessus, permettra d’apporter un éclairage nouveau.
Ce projet repose donc sur deux axes de travail :
- AT.1 : réalisation de la cartographie thermique centrée sur le Bas Allier
- AT.2 : mise en perspective pour le saumon Atlantique, calcul d’indicateurs, valorisation, et diffusion.
Ce projet s’appuiera et valorisera des données déjà acquises, que ce soit biologiques notamment lors de la précédente collaboration entre LOGRAMI et SCIMABIO Interface et environnementales, ainsi que des données à acquérir via une nouvelle technologie pour offrir un éclairage différent de la problématique de la survie estivale du saumon Atlantique. Ce projet permettra notamment d’obtenir une vision d’ensemble sur toute la partie aval de l’axe Allier en lien avec la qualité des habitats disponibles pour les saumons adultes en période estivale, ce qui fait écho aux objectifs H3, R1, R2 du PLAGEPOMI. La valorisation ciblée dans l’AT.2 du projet, englobe notamment une restitution et publicité auprès des acteurs locaux et décideurs de l’importance des refuges thermiques pour le saumon en période estivale, répondant ainsi à objectif H4 du PLAGEPOMI et à l’axe 2 du Plan Loire V. Il est également important de noter que même si la saison 2019 revêt pour le moment un caractère exceptionnel du fait des très faibles débits et hautes températures observés, les projections de températures et débits sous le joug du changement climatique amènent à penser que la nécessité de la présence et de l’accessibilité de refuges thermiques va devenir une problématique de plus en plus prégnante pour les poissons migrateurs amphihalins.